La Résurrection des marques


Les marques vivent, vieillissent… et peuvent rajeunir !

Les marques ont des caractéristiques « vivantes » : elles naissent, s’accouplent, se reproduisent (Aaker, 1990)… Comme les produits, les marques vieillissent et elles peuvent même mourir, après une période de déclin (Semans, 2004). Cette période de déclin peut être liée à des problèmes de pertinence du management (Haig, 2003) et ne peut être résorbée par un simple accroissement des budgets en l’absence d’orientations stratégiques et d’un suivi managérial continu (Temporal, 2002). Les marques doivent constamment se battre pour survivre, cependant, toutes n’ont pas les mêmes armes à disposition et ne peuvent pas combattre aussi efficacement les unes que les autres (Aaker et Joachimsthaleur, 2000). Le cycle de vie de la marque est erratique (Vandaele, 1986), qui ne dépend pas de l’âge de la marque : des marques qui existent depuis peu peuvent vieillir prématurément (Bontour et Lehu, 2002). Ainsi, la marque qui n’est pas suffisamment entretenue peut voir sa longévité remise en question.

Dès lors, la vigilance est de mise et les managers doivent se poser les bonnes questions : la marque peut-elle regagner de la notoriété ? Est-elle capable de créer un effet différentiel ? Est-elle capable de générer des réactions supplémentaires de la part du consommateur ? (Thomas, Kohli, 2009) La marque doit également être comparée avec la concurrence, suivant sa performance, son exposition media, son histoire et ses avantages comparatifs, on pourra décider de la relancer ou non (Wansink, 2000).

Faire du neuf avec du vieux

Les marques patrimoniales sont de celles qui ont relevé avec succès le défi de la longévité. Au fil des ans, elles ont réussi à s’installer dans la mémoire collective et puisent leur notoriété et leur légitimité dans un savoir-faire historique, souvent lié à l’histoire ou aux traditions d’une région. Si, par définition, l’identité de ces marques est rattachée au passé, cela ne signifie pas qu’elles sont figées dans une époque révolue : la marque patrimoniale doit être capable de transmettre le passé vers le présent (Pécot, De Barnier, 2017).

L’histoire de ces marques est pour elles une formidable source d’opportunités, mais également de contraintes (Liebrenz-Himes, Shamma, Dyer, 2007). Riches de leur héritage, les marques patrimoniales en font un élément clé de leur stratégie. Cependant, elles ne peuvent s’en détacher, au risque de décevoir le consommateur. Pour éviter les redondances, elles doivent aussi se renouveler et innover. Prises entre le passé et le futur, elles doivent apprendre à faire du neuf avec du vieux (Greyser, Balmer, 2007).

A l’heure actuelle, la RSE est une préoccupation importante pour les marques, les consommateurs et la société dans son ensemble. Peut-elle constituer un élément stratégique compatible avec les contraintes des marques patrimoniales ?

La RSE est compatible avec la nostalgie

Les marques perçues comme nostalgiques sont celles qui étaient populaires par le passé et qui le sont toujours aujourd’hui ; ce sont généralement des marques générationnelles ou transgénérationnelles (Loveland, Smeesters, Mandel, 2010). La nostalgie est donc une des stratégies de prédilection des marques patrimoniales. Le marketing basé sur la nostalgie permet au consommateur de transférer son vécu sur la marque et de retrouver une époque révolue de sa vie (Kessous et Roux, 2008), elle fait ainsi émerger des perceptions passées et donne du sens à la vie (Routledge, 2008).

L’utilisation de la nostalgie dans la communication des marques peut engendrer plus de réponses de la part du consommateur (Muehling et Sprott, 2004), mais également des réponses plus efficaces de la part des consommateurs (Cardona, 2003). Elle a notamment un impact sur l’attachement à la marque (Heilbrunn, 2001), les connexions au concept de soi, les préférences de consommation, l’intention d’achat du consommateur, la propension à offrir la marque et le bouche à oreille (Kessous et Roux, 2010). Les associations nostalgiques effectuées par le consommateur avec la marque faciliteraient la digestion des informations émanant de cette marque (Dewhurst et Parry, 2000).

Cependant, la nostalgie ne saurait se résumer au souvenir d’une époque révolue. Il faut faire la différence entre la marque revitalisée où l’ancienne marque est ramenée dans le présent et le retrobranding où l’on s’efforce de faire le plus d’associations possibles avec le passé (Hallegate, 2014). Pour Brown, Kozinets et Sherry (2003), la nostalgie doit être reconceptualisée dans la stratégie de marque sous quatre formes : création d’un story-telling de marque, présence d’une communauté, d’un pôle de valeurs, réalisation du paradoxe entre l’attrait pour le passé et la nécessité d’aller vers l’avant. La marque doit donc être capable de créer une harmonie entre le passé et le présent : elle doit combiner des éléments du passé avec des touches de modernité (Brown, 2001).

La RSE, en tant qu’élément actuel, rend possible l’ancrage de marques anciennes dans le présent. La marque Mako Moulages est récemment revenue sur le devant de la scène, sous l’impulsion d’Agnès Beuchet. Si le principe du jeu n’a pas changé, la fondatrice a voulu y apporter quelques touches de modernité. Pour répondre aux préoccupations sociétales sur l’origine des produits, elle a décidé d’en faire une véritable marque « made-in France » : le latex est fabriqué dans l’Allier, le plâtre à Carpentras, le sachet dans le Nord, la peinture dans l’Indre-et-Loire. Le jeu n’est pas suranné, il résonne toujours dans la mémoire des parents mais offre des arguments séduisants pour une consommation contemporaine.

Les cartables Tann’s ont également conservé leur design d’antan pour que les enfants de l’époque, aujourd’hui devenus parents, se reconnaissent dans les nouveaux sacs. Pour autant, les modèles ne sont pas dépassés, car si l’esthétique reste la même, le matériau a changé. Les cartables sont aujourd’hui produits à partir de bouteilles de plastique recyclées : ils s’inscrivent donc au cœur des préoccupations actuelles !

La marque Banania a pour emblème le descendant du tirailleur sénégalais qui avait fait sa notoriété à ses débuts. Entachée par des polémiques autour de son image colonialiste, Banania a su se réinventer, en faisant de son emblème un représentant du multiculturalisme français. La marque conjugue ainsi nostalgie – en conservant l’image familière du personnage qu’elle utilise depuis des années – et responsabilité sociétale, puisque son message est aujourd’hui résolument anti-raciste.

La RSE renforce le sentiment d’authenticité qui entoure la marque patrimoniale

Les marques patrimoniales communiquent autour de l’héritage car c’est un outil puissant dans la promotion des marques (Hakala, 2011), et qui permet de leur donner une légitimité et une authenticité (Penaloza, 2000). Il peut être un grand atout dans la mesure où il est unique et difficile à dupliquer (Urde, 2007). Les messages publicitaires insistant sur le respect des valeurs historiques et anciennes sont finalement un gage de qualité (Camus, 2002). Ils permettent au consommateur de percevoir la marque comme authentique (Beverland, 2005), tout comme l’ancrage dans un certain nombre de traditions (Beverland et Farelly, 2014). L’héritage impacte l’attachement et la fidélité à la marque via les émotions et la confiance, et impacte donc positivement l’intention d’achat (Rose, Merchant, Orth, Horstmann, 2016).

La littérature met en avant le rôle de la nostalgie et de l’héritage dans la perception de l’authenticité de la marque. L’authenticité est un des vecteurs d’attachement à la marque (Beverland, 2008). C’est la recherche de produits vrais, sincères et honnêtes. Le processus d’authentification se fait grâce à des signes, qui permettent aux consommateurs de discerner ce qui leur semble vrai et ce qui leur semble faux (Pevice, 1998) : grâce aux sens, aux effets de contextes, aux certifications (officielles ou personnelles) (Camus, 2002). Il n’est pas nécessaire que le discours soit vrai pour être perçu comme authentique (Kozinets, 2001) : l’authenticité n’est pas l’attribut d’un objet, mais une évaluation faite par une personne dans un certain contexte (Bruner, 1994). La fiction, les faits historiques et la présence d’objets anciens sont des marqueurs d’authenticité (Grayson, Martinec, 2004). L’héritage affiché de la marque patrimoniale n’est pas toujours un héritage réel : les composantes de cet héritage ont été en parties sélectionnées par les managers et relèvent en partie d’associations faites par les consommateurs à des événements extérieurs à la marque survenus pendant la vie de la marque (Pécot, De Barnier, 2017).

La RSE peut venir renforcer le sentiment d’authenticité que les marques patrimoniales cherchent à générer. Par exemple, Papier d’Arménie donne une image très authentique à travers son slogan. Cette marque met en avant son ancienneté, en même temps que son caractère « naturel », ce qui lui donne plus de légitimité aux yeux du consommateur (particulièrement à une époque où les encens et parfums d’intérieur sont beaucoup décriés par les associations de consommateurs). En produisant un produit socialement responsable, « naturel », la marque se positionne comme saine et authentique, ce qui résonne avec son ancienneté.

La bonneterie Armor Lux joue la carte de ses origines bretonnes : située à Quimper, elle s’efforce d’embaucher la main d’œuvre locale, participe à des programmes d’insertion (ce qui lui a valu une excellente évaluation RSE de l’AFNOR). Son engagement régional en matière de RSE en fait une marque qui fait rayonner la Bretagne. La RSE vient ici accentuer un effet made-in déjà vecteur d’authenticité.

Les pneus Michelin se font les défenseurs de la production d’un caoutchouc durable et responsable. Grâce à cette initiative socialement responsable, ils assoient un peu plus leur maîtrise des savoir-faire de l’industrie pneumatique. Cette démarche renforce leur image « qualité ».

Fauchon a opté pour une stratégie basée sur le made-in France pour se repositionner sur le marché du luxe alimentaire. La commercialisation de produits locaux et traditionnels permet à la marque de se présenter comme le garant d’une qualité et d’un savoir-faire à la française. La RSE, conjuguée à la réputation d’excellence de la maison, rend Fauchon authentique et luxueux.

Le parfumeur Jean Patou mise également sur une production réalisée à partir de matières premières d’origine grassoise. Une maison iconique telle que Jean Patou ne saurait produire ailleurs qu’à Grasse, ville dont l’histoire est intimement liée à celle des plus grands parfumeurs. Il serait probablement possible d’obtenir des produits de qualité équivalente ailleurs. Cependant, Grasse est la ville par excellence où produire du parfum. Les préoccupations RSE de Jean Patou lui permettent ici de sublimer son héritage, en utilisant à son profit les complémentarités entre son histoire personnelle