Mardi dernier, lors des ateliers de la chaire Marques & Valeurs, notre collègue Andria Andriuzzi nous a présenté ses recherches sur la conversation de marque. Une présentation passionnante, qui ose un parallèle éclairant entre les marques sur les réseaux sociaux et la conversation de salon aux XVII et XVIIIème siècles, et que je vais tenter de résumer ici.
Le terme « conversation » est à la mode en marketing, comme si c’était un nouvel eldorado. Certes, avec l’essor des media sociaux, on peut retrouver sur le mur de Facebook ou le fil Twitter quelque chose de l’ordre de la conversation. Même si on peut aussi y voir un simple glissement sémantique, par lequel nous serions passés en un siècle de la réclame à la publicité, et de la publicité à la conversation.
De quoi parle-t-on au juste, quand on parle de conversation de marque ? Aujourd’hui, c’est un peu de l’ordre de l’injonction, ou du mythe, les marques doivent entrer en conversation. On ne sait pas vraiment pourquoi, ni comment. Et c’est aussi un paradoxe : les internautes déclarent vouloir que les marques entrent en conversation, mais en même temps dans la réalité n’y participent pas ou peu.
Faut-il vraiment converser lorsqu’on est une marque ? Et peut-on converser sur tout ? Le contenu de certaines marques s’y prête moins que d’autres. Qui dit conversation dit dialogue, et les marques ayant un contenu limité, trop technique ou avec peu d’affect auront du mal à maintenir un dialogue sur la durée. D’autre part le « buzz », ou bouche à oreille, n’est pas garanti. On ne peut que proposer, après on n’a aucune garantie du fait que les internautes décident de s’en emparer.
A la suite d’une netnographie qui lui a permis de cartographier les types de conversation, Andria a observé des constantes dans les meilleures conversations de marque, celles qui sont pertinentes et qui génèrent le plus grand nombre de commentaires. Il en conclut qu’elles obéissent aux canons de la conversation de salon des XVII et XVIIIème siècle, qui encensait l’art de plaire et le bel esprit. Dans ces cercles mondains, la conversation était une activité sociale codifiée, quasi publique et bien distincte d’une conversation privée. Comme le montre bien le film « Ridicule » de Patrice Leconte, la conversation de salon était un divertissement en soi, le but étant de montrer de l’esprit et de briller, avec une forme de mise en scène.
Le parallèle avec les marques sur les réseaux sociaux est saisissant. La meilleure conversation est celle ou la marque parle d’elle, sur un mode exclamatif. Les conversations de marque n’ont rien d’intime, on peut s’y inviter pour peu qu’on ait de l’esprit. Les marques, tout comme les internautes qui participent à la conversation, le font dans le but d’étonner, de surprendre et d’amuser. Il s’agit bien de « briller », de faire de l’esprit, pour divertir la galerie. Ainsi, la conversation de marque serait ainsi loin d’être une conversation quotidienne idéalisée, celle de l’ordinaire, du lien social et de l’esprit pratique, dans laquelle la marque se serait placée comme un partenaire des internautes. Les conversations de marque sont bel et bien de la publicité, au sens de rendre publique et d’essayer de séduire.
Pour répondre à la question de départ, toutes les marques ne sont pas égales devant la conversation. Peuvent converser les marques brillantes, celles qui ont du talent et peuvent faire montre du « bel esprit ». En leur souhaitant à ce jeu-là d’éviter l’excès et la caricature, pour ne pas finir comme le héros de Patrice Leconte.