Il n’y a pas de conversation de marque sans valeurs


Géraldine Michel, Professeur, IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Entretien lors de la matinée « conversation de marque » organisée le 6 juin 2018 avec Entrecom

Pour qu’une conversation de marque crée un lien relationnel avec le consommateur la marque doit être légitime, c’est-à-dire que le contenu de la conversation doit s’appuyer sur les valeurs de la marque. Une conversation doit être connectée avec l’idéologie, le combat, les valeurs de la marque.

Comment définir le lien entre marque et valeurs ?

Une marque sans valeur n’existe pas, ou du moins n’est pas identifiée comme une marque qui apporte du sens aux individus. Une marque défend une idéologie, une prise de position sur son marché. Pour définir son idéologie, toute organisation doit répondre à la question : quel est le combat que je veux mener dans la société ? Sans idéologie, qui s’appuie sur des valeurs fortes, la conversation avec les internautes ne peut pas s’engager. Ou bien elle est perçue comme superficielle, inutile et donc à fuir. Une conversation de marque légitime est une conversation qui revendique des valeurs et devient pertinente quand elle est adressée aux bonnes personnes, au bon moment, et sur le bon sujet.

Qu’apporte la conversation à la prise de parole de la marque ?

Aujourd’hui la marque est bien plus qu’un outil commercial. C’est un objet social qui est construit, non seulement par l’entreprise, mais aussi par tous ceux qui interagissent avec elles, les consommateurs comme les citoyens. La prise de parole des marques dépasse largement l’objectif de vente du produit ou du service. Pour incarner les valeurs qu’elle défend, la marque doit les exprimer et les partager. La conversation tissée avec les internautes et les clients est un socle qui permet de faire vivre la marque et de nourrir sa légitimité.

 

Comment concilier les valeurs et la proposition de valeur de la marque ?

Une marque est légitime lorsqu’il existe un équilibre entre l’« être » et le « faire » de la marque.

L’« être » donne du sens. La marque parle avec l’individu en tant que citoyen et acteur de l’écosystème qui l’entoure. Quand elle prend la parole, elle défend des valeurs fortes.

Le « faire » créé de l’utilité. La marque est en relation permanente avec le consommateur pour faciliter sa vie et augmenter sa satisfaction. Au quotidien, la marque se met au service de l’utilisateur.

 

Comment se construit la légitimité de la marque ?

Le sens donné par la marque et l’utilité qu’elle crée doivent se rejoindre, s’épouser. Ce que l’on dit, quel que soit le support, est alors entendu. Les interactions qui se nouent enrichissent la relation marque / consommateurs / citoyens. La marque devient un objet social qui compte. Elle est identifiée comme une personne de confiance avec laquelle il est intéressant d’entrer en conversation. Les échanges passent facilement des valeurs à la proposition de valeur. 

Est-ce que dans certains cas, la conversation est à éviter ?

Oui, lorsque la parole n’est pas alignée avec les actes. Quand ce que fait la marque est en contradiction avec ce qu’elle dit, et vice-et-versa, la conversation a un effet boomerang. Lors de crises, qu’elles soient sociales, écologiques ou technologiques, la prise de parole doit être extrêmement exigeante. Il ne s’agit pas d’opérer un rachat de conscience. La prise de parole doit éclairer sur la crise vécue ou subie par les différentes parties prenantes. Lorsqu’elle se tait, lorsqu’elle s’explique ou lorsqu’elle s’excuse, la marque n’est pas en conversation. Elle engage sa responsabilité.

À quoi ressembleront demain les conversations de marque ?

Les conversations de marque de qualité ne se ressembleront justement pas. Plus la marque va affirmer son identité, plus il lui sera aisé d’engager des interactions qui portent les valeurs qui lui ressemblent. Elles vont inventer de nouvelles occasions d’échanger et de converser au plus proche des utilisateurs, et se positionner comme un irremplaçable compagnon de route.

 

Une marque est légitime lorsqu’il existe un équilibre entre l’« être » et le « faire ».

 

Dans les points de vente : conversation ne veut pas dire intrusion

Des travaux de recherche menée par la Chaire Marque & Valeurs montrent que la conversation doit rester un espace de liberté pour tous, y compris et surtout pour les interactions en magasin[1].

En magasin, quel doit être le degré d’intimité de la conversation ?

Dans les points de vente, l’intimité n’est pas à rechercher à tout prix. Une conversation utile doit être en tout point conviviale. À la différence d’un message publicitaire descendant ou d’une réclamation client ascendante, c’est un espace de liberté interdépendant. Pour converser, il faut en avoir envie des deux côtés. Sur les réseaux sociaux, cette liberté est assurée. On se déconnecte ou l’on quitte la plate-forme dès que l’on veut quitter l’échange. En magasin, cette posture doit être conservée. Sinon, la conversation et la recherche de liberté sont vécues comme une intrusion.

Vouloir trop échanger avec le client en magasin le fait-il fuir ?

On constate en effet une tendance des consommateurs à limiter leurs venues dans les points de vente de leurs marques préférées. Lorsque les vendeurs et vendeuses engagent une conversation trop étroite, le consommateur se sent piégé et a le sentiment de perdre sa liberté. S’il se sent obligé de participer à un échange entre les clients ou entre les vendeurs, il évite le lieu commercial et ne s’y rend que lorsqu’il est sûr que sa liberté d’acheter ou de converser sera respectée.


[1] S. Eroglu and G. Michel : Dark Side of Place Attachment : Why do Customer Avoid their Treasured Stores ? Journal of Business Research, 85, Avril, 2018.

 

Géraldine Michel dirige la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris créé en 2012. L’objectif de la Chaire est de répondre aux attentes des entreprises qui pensent leurs marques comme un objet social. Les différentes facettes d’une marque sont explorées (e-réputation, alliances de marque, marque employeur) en mobilisant tous les métiers qui y contribuent (marketing, RH, finance, juridique…). La Chaire s’appuie sur un réseau de partenaires auquel appartient l’agence Entrecom.