« Une marque sans valeur serait une ineptie »
Pour Géraldine Michel, directrice de la chaire Marques et Valeurs à l’IAE Paris-Sorbonne, “une marque sans valeur serait une ineptie”. Propos recueillis par Isabelle Musnik pour la revue Influencia publiée en février 2021.
Géraldine Michel, professeur à l’IAE Paris-Sorbonne et directrice de la chaire « Marques & Valeurs » et auteure de l’ouvrage « Au cœur de la marque » (2017), 3e édition Dunod.
INfluencia : Vous dirigez la chaire « Marques et Valeurs » à l’IAE université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, quel est pour vous le lien entre marque et valeurs ?
Géraldine Michel : C’est plus qu’un lien. Les valeurs sont les fondamentaux de la marque. Une marque sans valeur, n’est plus qu’un nom, un signe mais sans forcément beaucoup de signification. Une marque qui porte des valeurs apporte du sens au-delà de la fonction d’identification et de différenciation qu’on lui a toujours donnée. Une marque sans valeur serait une ineptie, on ne pourrait pas donner du sens aux collaborateurs et aux consommateurs. La construction d’une marque c’est de la construction de sens, c’est du branding, différent du marketing qui est plus orienté court terme à la recherche de chiffre d’affaires immédiat.
Quel principal défi attendent les marques aujourd’hui?
Le défi des marques est de savoir s’engager, d’un point de vue sociétal et environnemental, pour répondre à une quête de sens des individus. C’est aussi mettre en action leurs valeurs en mettant en place une vraie transformation. En effet, s’associer avec des bonnes causes ne suffit pas, il faut montrer l’exemple en interne dans sa politique de recrutement, ses processus de fabrication, etc. Aujourd’hui, les consommateurs sont citoyens. Evidemment, les clients attendent toujours des marques qu’elles soient utiles, avec une offre de qualité, mais elles doivent aussi être exemplaires dans leurs pratiques. Certaines marques l’ont très bien compris depuis longtemps, comme The Body Shop qui refuse les tests sur les animaux et soutient le commerce équitable. A chacun son combat qui permettra aux marques de faire la différence. Les gens ont envie de travailler pour des marques inspirantes et ont aussi envie d’acheter des marques qui leur permettent de contribuer aux combats sociétaux et environnementaux. Cela concerne tous les types de marques, locales, internationales et tous les secteurs d’activité.
Les « bad brands » qui assumeraient haut et fort leurs « défauts » : produits sucrés, cigarettes, etc. sont-elles condamnées ?
Je ne pense pas car au-delà d’un monde meilleur les gens attendent des marques qu’elles assument leurs produits et qui elles sont. Une marque comme McDonalds fait sourire voire agasse quand elle revendique des produits Bio. Si les gens vont chez McDonalds ce n’est pas pour manger du Bio sinon ils iraient ailleurs. Les gens n’attendent plus un discours lisse qui plait à tout le monde, ils veulent du vrai sans être trompés. Quand ils achètent du Nutella ils savent ce qu’ils achètent. Ils sont prêts à consommer à la fois des « bad et good brands », c’est l’équilibre entre le ying et le yang. Et ce sont les marques qui prendront position, qui seront clivantes, qui compteront pour les gens. Ces marques-là sont importantes dans la construction identitaires des individus car elles leur permettent de signifier haut et fort qui ils sont: je consomme qui je suis, et je suis ce que je consomme. Je suis persuadée qu’il y aura toujours des « good » et des « bad brands ». Certaines marques seront Bio, RSE-oriented, et d’autres seront « 100% plaisir ». Il y aura toujours un moment où on aura envie de se lâcher, de mettre du Nutella sur ses tartines, d’aller chez Mc Do et de fumer une Marlboro.
Ce n’est donc pas la fin des méga-brands ?
C’est en tout cas la fin des marques qui sont dénuées de sens et ne résonnent pas avec l’évolution de la société et les besoins des individus. C’est l’émergence de marques plus locales, plus proches des gens, qui se créent sur les réseaux-sociaux et s’adressent à une communauté. Un nombre plus important de consommateurs adhèrent à ces nouvelles marques dont ils connaissent le combat et les valeurs.
Il est évident que certaines marques vont disparaître mais celles qui resteront seront les plus légitimes, celles qui répondront à des préoccupations sociétales en s’appuyant sur une véritable transformation interne de l’organisation. C’est cette transformation qui est indispensable aujourd’hui. Lorsque H&M, par exemple, permet la démocratisation de la mode pour tous, c’est très louable, mais derrière ce combat il faut qu’elle se transforme elle-même, en modifiant ses processus de fabrications pour coller aux règles environnementales. C’est ce que nous expliquons dans notre dernier ouvrage « The art of successful brand collaborations »[1]. Une marque ne peut pas seulement diffuser ses valeurs à l’extérieur, sans le faire en interne. D’autant plus que la nouvelle génération compte sur les marques pour donner du sens à leur travail et pour contribuer à l’amélioration de la planète.
[1] G. Michel et R. Willing « The Art of Successful Brand Collaborations: Partnerships with Artists, Designers, Museums, Territories, Sports, Celebrities, Science, Good causes…and More », Routledge, 2020.