Kärcher : quand une marque vit au-delà de ses produits


Je suis Kärcher®, un nom déposé et de fait une marque née en 1935 d’un père d’origine allemande. Les dictionnaires m’attribuent le genre masculin et me définissent comme « nettoyeur à eau à haute pression ».

Mon nom a été utilisé à des fins politiques le 6 janvier 2022 par Valérie Pécresse, candidate à l’élection présidentielle. « Il faut ressortir le Kärcher® qui a été remisé à la cave par Hollande et Macron. Il est grand temps de nettoyer tous ces quartiers qui sont devenus des zones de non-droit ». Mobilisant mon nom pour asseoir un discours sécuritaire, on a osé faire de moi un objet de clivage alors que je suis indépendant et apolitisé. J’ai déjà connu par le passé ce genre de désagrément, mais cette fois mes propriétaires ont réagi vite. 

Menacé, je bénéficie d’une forte protection juridique pour conserver mon caractère distinctif et ma majuscule. Dès le 11 janvier, mon nom apparaissait dans une annonce presse dans les quotidiens nationaux français, à travers un message explicite « Kärcher® défend sa marque ».

Il est vrai que mon nom détient une dimension symbolique très forte. Je suis devenu autant une expression générique qu’une marque emblématique de ma catégorie. Comme d’autres, je suis atteint du syndrome d’antonomase. Il se caractérise par une forme linguistique amenant mon nom à être utilisé comme un nom commun. Je suis plutôt fier puisque les produits que je représente illustrent mes valeurs : l’innovation, la compétence, la performance et l’univers de la famille. Je me suis doté de symboles puissants qui demeurent inchangés depuis des décennies, tels que mon logo, mes couleurs. Mes performances en termes de chiffre d’affaires sont remarquables, et ma notoriété internationale est telle que je suis le leader sur mon marché. Je me bats donc contre la déchéance de mon nom pour « dégénérescence » de marque.

Alors, que m’apporte cette nouvelle polémique ? 

En premier lieu un sentiment d’injustice : j’ai eu besoin de rappeler toute la singularité de mon nom. Et aussi une certaine satisfaction de prendre une nouvelle place dans le débat public en y associant les actions que je mène au bénéfice du bien commun. Mon intervention sur la place de la Concorde avec la rénovation de l’Obélisque en est un exemple. Je sais aussi que je peux compter sur la qualité de mes produits et des services qu’ils apportent pour conserver cette place de choix dans le cœur des Français. Au fond de moi, cette polémique est l’opportunité de maintenir ce lien avec tous ceux qui m’ont choisi. En élargissant mon offre sur de nombreuses solutions de nettoyage, en proposant aux professionnels une relation de confiance, j’agis chaque jour à faire vivre la promesse de ma marque. Je sais bien qu’il existe des risques à être malmené sur les chaines d’information, mais c’est pour moi une façon inavouée d’exister et de me renouveler avec tous mes paradoxes que je tente d’assumer le mieux possible.

Alors, oserais-je remercier Madame Pécresse ?

Source : Le Monde – Édition du vendredi, 14 janvier 2022, page 3

Daniela Cardenas, Dounia El Boubkri et Luc Thabourey
Élèves du Master MPC de l’IAE de Paris, promotion 2022-2023